Chat alors!

 « À quoi pensent donc les chats ? »

Chaque matin, c’est le même scénario :  je cours dans tous les sens, préparant le petit-déjeuner en cherchant les chaussettes préférées de l’une tout en faisant réviser les leçons du deuxième. Le stress est à son apogée jusqu’à ce que les uns partent à l’école et les autres au bureau. Du haut de son arbre à chat, Rodolphe, flegmatique, toise l’effervescence générale. Je perçois presque sa tête hocher de droite à gauche, en signe de désapprobation. Ratamiaou contrebalance le dédain de son aîné. Empathique, il me frotte les chevilles, de sa douce gueule féline.  Par sa présence silencieuse et attentive, mon petit fauve semble vouloir me rappeler que la Terre ne va pas s’arrêter de tourner si le programme familial dévie d’un poil…

À l’aube d’un lundi d’octobre, mon minou préféré manque à l’appel. Les heures passant, son absence m’interpelle. À leur retour, enfants et époux partagent mon inquiétude. Nous décidons de partir à sa recherche avant la nuit.

Pour davantage d’efficacité, nous scindons notre groupe. Fred et Opaline vont explorer les berges du ruisseau pendant qu’Oscar et moi cherchons dans les moindres recoins du village. Nous questionnons les voisins lorsque mon portable vibre.

« Il fera bientôt trop sombre pour continuer, mais nous sommes passés à la maison prendre des lampes frontales. Rejoignez-nous à la “Grange hantée.”

Lorsque les enfants qualifient le vieux fenil de “Grange hantée”, mon mari et moi sourions. Quelle imagination ! L’idée que Ratamiaou s’y soit installé me semble en revanche plausible puisqu’une jeune villageoise y remplit régulièrement des gamelles pour les chats errants. Oscar et moi gagnons à notre tour le refuge des SDF à quatre pattes.

Chacun des membres de la famille s’équipe d’une frontale, puis les parents suivent les gosses, habitués à la masure. Nous nous faufilons entre deux planches, sautons sur le pont de grange et avançons précautionneusement. Nos lampes amplifient les ombres, des paires d’yeux de squatteurs félins et autres chauves-souris guettent notre passage, l’ambiance en devient lugubre. Inquiète, je n’ai qu’une envie : rentrer à la maison. D’ailleurs, ne devrions-nous pas bientôt coucher les enfants ? Quelle heure peut-il bien être ? Au moment où je consulte ma montre, Fred, qui ouvre la marche, disparaît. Opaline et Oscar sont aspirés dans son sillon. Je n’ai pas le temps de réaliser que me voilà emportée également. Tous quatre happés dans un tourbillon, nous tournons à une vitesse prodigieuse, ce qui me paraît une éternité. Nous atterrissons enfin dans un univers totalement inconnu. Rêvons-nous ? En ce lieu mystérieux, l’atmosphère est électrique, le contexte anxiogène. Des individus courent dans tous les sens, les yeux rivés sur des smartphones futuristes.

                “Où sommes-nous ?, tente Fred en accostant l’un de ces énergumènes.

  • Pas le temps… hurle celui-ci en s’éloignant !”

D’autres nous frôlent, mais ne semblent même pas s’apercevoir de notre présence tant ils sont absorbés par leurs cellulaires. Des écrans géants indiquent l’heure des quatre coins du monde. Les secondes défilent sur des chronomètres muraux, des néons publicitaires clignotent de toutes parts. Times Square ? Piccadilly Circus ?

Soudain, Oscar me tire par la manche. Ratamiaou vient de passer en courant. À la hâte, nous le poursuivons. Plus nous cavalons, plus la frénésie générale s’emballe. J’ai l’impression d’être un hamster dans sa roue… Ce chat ne va-t-il donc jamais s’arrêter ?

En nous voyant passer, un vieux monsieur nous fait signe de ralentir. Sa placidité ne cadre aucunement avec l’ambiance survoltée de ce lieu où nous avons été téléportés à notre insu. Contrairement aux autres, il semble prendre le temps de s’inquiéter de son prochain. Sa bienveillance me touche.

“Lorsque nous arrêtons de courir après nos désirs, ils nous viennent d’eux-mêmes !”

Alors que nous reprenons notre souffle, Ratamiaou fait volte-face et saute dans les bras d’Opaline. Le temps suspend son vol, la bobine tourne subitement au ralenti. Les panneaux lumineux disparaissent, les individus survoltés s’esquivent.

Nous voilà réunis autour du chat, parachutés par on ne sait quel enchantement au milieu de la vieille grange. Sa pénombre n’a plus rien d’inquiétant. Au contraire, elle nous offre une chaleureuse intimité.

En regagnant notre domicile, une sérénité nouvelle nous habite. Après avoir expérimenté le paroxysme de la frénésie, nous savourons le calme nocturne de la campagne. Il faut parfois explorer nos inclinaisons dans leurs extrémités pour sentir combien il est agréable de revenir au point d’équilibre.

Couchée dans mon lit, je repense à notre folle soirée. À la leçon de Ratamiaou. Contrairement aux hommes, depuis qu’ils vivent sur terre, les chats ne sont jamais sortis de leur indolence native pour accomplir une multitude de tâches parfois utiles, mais le plus souvent superflues. Laissant le soin à leur propriétaire de s’occuper de leur sort, libérés de tout souci bassement domestique, ils méditent et se concentrent sur l’essentiel. Leur priorité ? Le bien-être ! Je me calfeutre dans mes draps : je ferais bien de prendre un poil exemple sur eux 😊

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