Quand la poisse vous colle à la peau…

J’m’apprêtais à visiter l’Australie, sac au dos, quand j’me suis fait gauler avec d’la came, à l’aéroport Tullamarine. Dès mon arrivée à la Melbourne Assessment Prison, comme j’suis pas jugé dangereux, on m’a collé à la conciergerie. Du coup, une fois par semaine, j’trie les journaux de la piaule des matons. Ces papelards sont désormais mon seul lien avec l’extérieur. Au début, mon niveau d’anglais est basique mais plus les semaines passent, plus j’capte le sens des articles. Quand j’étais au bahut, si on m’avait dit qu’un jour, j’prendrais un tel panard à lire, j’me serais fendu la poire ! Mais maintenant, j’aime tellement ça que, les jours où j’m’en occupe, j’saute ma pause déjeuner. Comme ça, j’peux feuilleter autant de pages que possible. Tout y passe. Même les pubs.

Celle-ci me saute à la tronche : 

« Bostik ! Des colles à la pointe de la technologie.

Les seules ouvrant la porte à toutes vos envies ! »

M’ouvrir les portes : en voilà une idée ! Tout l’après-midi, cette histoire d’colle me tourne dans la caboche. Faut que je fayotte pour en obtenir. J’ai qu’à dire que c’est pour réparer les supports des étendoirs à linge de la blanchisserie. J’ferme pas l’œil de la nuit : étendu sur mon plumard, je pense qu’à mon plan pour pas m’louper.

Ça y’est ! Ma colle est arrivée. Pour une fois, j’ai même pas envie de la sniffer. Faudra que j’fasse gaffe à être seul dans la buanderie. Si ce faux derche d’Amir est dans les parages, c’est mort. Sûr qu’il ira cafter… J’peux pas l’blairer ce mec ! Bref ! Une fois le dos d’mon uniforme bien enduit, je l’enfile vite fait et j’me cache derrière la porte. Dès que l’chauffeur fait ses allers-retours avec les chariots de linge sale, j’cours sous la camionnette et j’plaque mon dos et mes guiboles contre la protection du bas de caisse. J’aurai mis tellement d’colle que ça prendra vite. Surtout avec le cagnard qui fait ici en ce mois de janvier. Paraît que c’est à cause des masses d’air chaud qui viennent du désert. J’l’ai lu l’autre jour dans Herald Sun.

Me voilà le pif à 15 cm du bitume. Putain ! ça déchire… Il roule sec avec sa caisse, le blanchisseur. Si on passe sur un gendarme couché trop vite, j’suis raide. Pressé comme un citron ! J’ai presque envie d’gerber. Comme quand j’étais môme, dans la bagnole d’mon daron et qu’il était bourré. Vivement le prochain feu rouge, que je me désape et que j’puisse m’faire la malle.

Mais qu’est-ce qu’elle a cette foutue fermeture éclair. J’arrive pas à voir pourquoi elle coince parce que si j’baisse trop la tête, j’me l’éclate contre le goudron. Faut juste tirer assez fort ? Non ?

J’me suis fait avoir comme un bleu. La glu a collé la fermeture éclair. Faut dire que c’était pas l’pied pour m’rhabiller sans en mettre partout. Impossible d’ouvrir cette salopette. Tu parles d’une saloperie… C’est quand-même pas elle qui va m’empêcher d’me barrer ? Faudrait la déchirer, mais c’est la dèche : j’peux presque pas bouger.

Le soleil cogne devant cette blanchisserie. Ça doit bien faire cinq heures que j’suis là-dessous, en train d’essayer de découdre cette putain de fermeture ? Z’ont pas été radins sur ce coup-là. C’est d’la qualité ces uniformes. Z’auraient mieux fait d’investir dans l’aménagement d’nos piaules… En plus, j’commence à avoir la dalle. Pis j’peux même pas pisser sans faire dans mon froc. Mais ça, ce s’ra seulement si j’peux plus tenir… J’me suis pris trop de beignes quand j’étais mioche et qu’je mouillais mes draps !

Ça y’est ! Y’a la gouille devant moi. Faut dire qu’après une journée entière, la vessie pleine, c’était difficile de retenir… J’balise tellement que j’ai envie de chialer. Pourtant, il était béton mon plan. La preuve, j’suis dehors depuis c’matin. Mais collé là-dessous, c’est pire que la taule. J’aime encore mieux me faire pincer que de rester une heure de plus comm’ça.

Voilà le chauffeur qui raboule. Il ramène au bagne le linge, propre c’tte fois. La chaleur du bitume, qui a pris le soleil toute la journée, monte du sol. Celle du véhicule me brûle le dos. Entre les deux, j’suis comme un panini. Vivement qu’on arrive. J’ai tellement soif que j’pourrais boire dans l’caniveau. Tellement faim que je bafrerais n’importe quoi !

Nous voilà au point de départ. La camionnette franchit le portail après le contrôle d’identité du chauffeur. On stoppe devant la blanchisserie.

              « Au s’cours ! Aidez-moi… J’vais caner là-dessous ! »

Après avoir douillé des heures, m’revoilà dans la mouise. Pourtant, j’ai jamais été aussi content d’voir arriver les matons avec leurs paires de ciseaux. Quand ils m’coupent l’arrière de l’uniforme et que j’tombe parterre, j’me dépêche de ramper d’côté. Les matuches n’en croient pas leurs yeux quand ils m’voient courir dedans, les miches à l’air. Ils veillaient d’l’autre côté pour pas que j’ressaie d’me faire la malle.

Enfin à la verticale, je revis. Je lape la flotte fraîche du robinet de la buanderie qui m’coule le long du cou, mêlée à mes larmes. J’sais plus si j’chiale de soulagement ou de dépit. Mais même d’retour au niouf, je m’suis jamais senti aussi LIBRE !

One comment

  1. Extra !

    Je me rappelle avoir lu plusieurs fois cette consigne, mais je ne l’ai jamais faite moi-même car j’ai fait seulement la première année. Le point de vue avec le langage très familier est très bien choisi et ajoute au cocasse de l’histoire. Bref, bien joué ! Au plaisir de lire de nouvelles « nouvelles », belle journée, Sabrina.

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