À en perdre la tête…

Sept heures sonnantes : Florije arrive la première en cuisine. Son cri d’effroi déchire le calme matinal. Ses collègues Marcello, chef cuistot et Dieu-donné, plongeur, accourent du vestiaire.

Une marmite ? Déjà sur le feu ?

Pâle et mutique, la fille de cuisine en soulève le couvercle. Une tête à longs cheveux y mijote depuis plusieurs heures, vraisemblablement ! Effarés, tous trois se dévisagent. Premiers sur place, premiers suspects ! Bon gré, mal gré, ils appellent le directeur de l’université.

« Monsieur De Rougemont, excusez-moi de vous déranger si tôt. Il faut que me rejoigniez immédiatement en cuisine ! », souffle le cuisinier.

La voix tremblante de l’Italien, habituellement si sûr de lui, inquiète son supérieur. Lorsqu’il franchit le seuil, quinze minutes plus tard, les trois employés, livides, demeurent autour de la casserole. Le directeur manque défaillir en découvrant son contenu. Surtout ne rien toucher avant l’arrivée de la police.

Olivia Calandrini, escortée de techniciens de la police scientifique, débarque peu après. 

« Qui a accès à cette cafétéria en dehors des heures d’ouverture ?, questionne l’inspectrice.

  • À part le concierge et nous quatre, personne…, répond le directeur
  • Le concierge est-il déjà joignable ?
  • Non, pas encore ! Il était en congé, hier et cette nuit. Fête de famille !
  • Prévenez-moi dès qu’il arrive.

L’inspectrice demande à l’un de ses collègues de sortir la tête de la casserole.

  • Parvenez-vous à identifier la victime ?

Malgré les nombreuses heures passées dans l’eau, il est évident que ce visage est de type asiatique.

  • Cette année, notre campus n’a accueilli qu’une asiatique : Victoire Gigandet, fille adoptive de l’horloger.
  • Était-elle appréciée ? Avait-elle un petit ami ?
  • Victoire était très appréciée. Depuis peu, elle sortait avec Sylvère, le fils Givaudan.
  • L’héritier des fameux Givaudan ?
  • En effet !
  • Monsieur De Rougemont, conduisez-moi auprès de lui. Les autres, je compte sur votre discrétion . Pour le moment, on ne divulgue l’affaire à personne. Prétendez une fuite de gaz pour empêcher l’accès à la cafèt’. »

Olivia toque plusieurs fois à la porte du jeune homme, en vain. Celle-ci n’étant pas verrouillée, elle entre doucement ! Une forte odeur d’alcool l’accueille. Le gars dort profondément, la bouche ouverte. La commissaire s’approche du lit et le réveille du bout du coude.

« Police judiciaire ! J’ai quelques questions à vous poser. Pouvez-vous me rejoindre dans le couloir, habillé, svp ?

L’étudiant sort, l’œil mauvais. Il ne semble pas habitué à recevoir des ordres.

« Où étiez-vous cette nuit ? l’interroge Olivia.

  • Ben, avec mes potes, à une soirée privée. Pourquoi ?
  • Victoire vous accompagnait-elle ?
  • Vous la connaissez ? Non, on s’était brouillés.
  • Pour quelles raisons ?
  • À cause de sa c … de meilleure amie Solange qui vient toujours mettre son nez dans nos affaires…

La grossièreté de Sylvère heurte Olivia et la conforte dans sa première impression.

  • Ne quittez pas le campus, nous allons nous revoir. »

L’inspectrice demande au directeur de la conduire jusqu’à la chambre de la dénommée Solange. Un logement que celle-ci partageait avec Victoire, justement.

À peine Olivia a-t-elle frappé qu’une jeune fille très apprêtée lui ouvre.

« Bonjour Solange ! La police souhaite vous interroger au sujet de Victoire, explique M. De Rougemont.

  • Victoire ?
  • N’est-elle pas votre voisine de chambre ?, demande Olivia.
  • Oui de même que ma meilleure amie. Est-ce parce qu’elle a découché que vous êtes là ?
  • En effet. Ces absences nocturnes sont-elles fréquentes ?
  • Elle ne m’avait cependant pas prévenue, pour cette nuit. Cela m’inquiète, enchaîne Solange. En fait, juste après le repas, elle m’a dit rejoindre Sylvère.

Dans l’intervalle, le concierge José Martinez arrive. M. De Rougemont emmène Olivia jusqu’à son atelier.

« Police judiciaire. J’aimerais vous poser quelques questions. Où étiez-vous hier-soir ?

  • Je fêtais les septante ans de mon beau-père. Nous étions une cinquantaine, explique le bel Hispanique.
  • Avez-vous prêté votre passe-partout à quelqu’un récemment ?
  • Je ne l’ai pas prêté. Il a disparu avant-hier.
  • Et vous n’avez pas jugé bon de signaler sa disparition ?
  • J’allais le faire à l’instant ! »

Dans l’après-midi, Olivia déambule sur le campus. Elle approche discrètement d’un groupe dont Givaudan semble l’attraction.

« Puis-je vous demander ce qui vous réunit là alors que tous les autres sont en cours ?

Sylvère fourre ses mains dans ses poches. Les autres bafouillent…

  • Que contiennent les petits sachets que vous venez de cacher ?
  • Cela ne vous regarde pas, crache le jeune homme.
  • Donnez-les moi et allons en parler au commissariat. »

L’inspectrice appelle du renfort pour embarquer ces jeunes. Au poste, ils sont interrogés séparément. Tous couvrent le fils Gigaudan. Il est pourtant évident que ce dernier deale de la coke. Après avoir relâché les autres, Olivia a bien l’intention de le « cuisiner » jusqu’à obtenir toute la vérité, quitte à y passer la nuit !

« Pourquoi ne m’avez-vous pas précisé avoir rencontré Victoire avant d’aller à votre fameuse soirée ?

  • Vous m’avez demandé où j’avais passé la nuit. Je vous l’ai dit, répond l’insolent.
  • Victoire savait-elle pour votre commerce de drogue ?

Enfin une question qui semble déstabiliser cette graine de voyou !

Le portable d’Olivia vibre.

         « On a retrouvé le passe-partout du concierge dans le casier de Victoire.

  • … ???
  • Mais surtout son corps déchiqueté dans le broyeur à déchets, annonce un technicien. Un sachet de coke gisait aussi sur le sol, à proximité… »

« N’auriez-vous pas égaré une dose de poudre à côté du broyeur à déchets, jeune homme ?

Sylvère blêmit. 

  • Victoire envisageait-elle de vous dénoncer ? L’avez-vous réduite au silence en la décapitant ?
  • Elle avait volé ma came et subtilisé le passe du concierge pour la cacher à la cafèt… Elle mérite ce qui lui est arrivé. »

Si Victoire souhaitait démanteler le trafic de son petit ami, au moins aura-t-elle atteint son but. Dommage qu’elle en ait perdu la tête !

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