6-3 = 1

  •  Garder les six pourrait vous être fatal. 

Je rêve ou mon gynécologue vient de me suggérer d’extraire la moitié de ces follicules que j’ai mis tant d’années à produire ? Ces potentiels futurs embryons condensant des années d’espoir et d’efforts ? Consciente qu’une grossesse sextuple serait une folie, je ne peux qu’obtempérer.  En voiture Simone ! Mon mari m’emmène à la clinique des femmes. L’opération à vif, sans anesthésie, s’apparente à la scène barbare d’un film médiéval. Durant le trajet du retour, les vibrations du véhicule attisent les douleurs. Une semaine durant, je me déplace précautionneusement, telle une nonagénaire. Pourtant, mon inconfort passe à l’arrière-plan tant j’espère que l’obstétricien a choisi les 3 bons. Dix jours plus tard, je ne peux que constater qu’il s’est trompé ! Tout ça pour ça… Pourtant l’expérience porte ses fruits même si ce n’est pas ceux que j’attendais : je comprends enfin que je n’obtiendrai rien de ces traitements allopathiques. Qu’il me faut prendre le mal à la racine.

Forte de ma prise de conscience, j’envoie tout valdinguer. Cette rupture avec le centre de fertilité me ressuscite. Advienne que pourra… Les prémices de l’été aidant, mon amoureux et moi larguons les amarres. À bord de mon vieux cabrio, nous nous laissons porter par le vent. Seules clauses de voyage : ni hôtel, ni autoroute. Délestés de toute pression et injonction extérieures, nous sillonnons la France, du Jura à la côte basque. À nous les pierres volcaniques de l’Auvergne, la descente en canoë de l’Ardèche, les effluves de lavande provençales… Nous nous émerveillons de la richesse et de la diversité de chaque région.  Dans l’optique d’intensifier mon « lâcher prise », mon conjoint m’enjoint de ne rien prévoir. De vivre au jour le jour. La haute saison battant son plein, notre audace interloque les gérants de chambres d’hôtes.

  • Quoi ? Vous n’avez pas réservé ? En plein mois de juillet ?
  • Oh quelle chance vous avez. Un couple vient d’annuler sa réservation…

Chacune de nos requêtes est couronnée de succès. Ainsi, logeons-nous dans de charmantes bâtisses, souvent anciennes et chargées d’histoire. Attablés sous les oliviers, nous partageons la table de nos hôtes ou d’autres voyageurs. Jusque tard dans la soirée, nous discutons à bâtons rompus autour de bonnes bouteilles des vignerons locaux. Si « Mange, prie, aime » d’Elizabeth Gilbert avait déjà paru, il aurait été ma bible.  Les vacances battant leur plein, une phrase de mon médecin ressurgit :

  • Prendre quelques kilos serait favorable à votre fertilité !

Si jusqu’ici, sa proposition m’effrayait, y repenser dans ce contexte convivial sonne comme une autorisation à me lâcher. Spécialités locales et cuisine du marché me ravissent. La croustillante baguette du boulanger tartinée de beurre frais constitue notre nouveau rituel du matin.

Un mois plus tard, nous voilà de retour au bercail. Mon univers familier va-t-il me faire retomber dans mes anciens schémas ? Vais-je succomber à mes rassurantes habitudes ? Bien au contraire ! Portée par une nouvelle énergie, je n’ai qu’une envie : changer. Rien à voir avec une de ces lubies superficielles ou bonne résolution de nouvel-an ! Une aspiration profonde à me responsabiliser de la trajectoire de ma vie me prend. Je consulte notamment un nutritionniste/art-thérapeute/metteur en scène. Un praticien pour le moins original ! Il m’aide à retrouver plaisir et satiété. Avec lui, j’apprends à choisir mes aliments avec mon ventre et non ma tête. Et surtout, il me suggère d’acheter quelques pinceaux. Eurêka : mon envie suprême de (pro-)créer s’en trouve assouvie. Du matin au soir, fleurs délicates, hérons et loutres prennent forme sur mes pages blanches.

Pour la première fois, je m’assois aussi sur le divan d’un psy. Grâce à l’EMDR (eye movement desensitization and reprocessing, en français : désensibilisation et reprogrammation par mouvements oculaires), je comprends que mon dérèglement hormonal n’est pas purement génétique. Le mental détient sur le corps une influence insoupçonnée. Accompagnée par ce thérapeute, je remonte à ma prime adolescence, socle de l’existence.

Le souvenir des gestes déplacés d’un voisin a priori sympathique ressurgissent.  Sa façon d’outrager ma féminité naissante m’avait tétanisée. Figée sur l’idée que devenir une femme représentait un danger, j’avais inconsciemment renoncé à ce corps en devenir. À 12 ans, j’entamais mon premier régime. Après quelques semaines de diète abracadabrante, mon corps et mon cœur criaient famine. Je comblais alors compulsivement ce vide intersidéral avant que honte et culpabilité ne m’envahissent. Mes variations pondérales escortaient mes fluctuations émotionnelles. À 18 ans, le diagnostic de l’endocrinologue tomba ! Androgènes surnuméraires… 

Riche de ces conscientisations psychologiques, je travaille sur tous les plans. Accompagnée par une équipe pluridisciplinaire merveilleuse, je me pose, je m’ancre. Je mange…

Un semestre d’épicurisme plus tard, des douleurs abdominales méconnues me surprennent. J’appelle mon gynécologue.

  •  Retrouvez-moi au cabinet dans une heure. Avec vous, je m’attends à tout ! 

 À tout sauf à la surprise que je lui réserve. Craignant une flambée ovarienne, il effectue une échographie. Il n’en croit pas ses yeux : un embryon d’environ cinq semaines squatte mes entrailles… 

Nda : dans la correction de ma 1ère nouvelle, on m’invitait à développer l’aspect « lâcher prise ». La consigne de celle-ci m’en donne l’opportunité. Je la saisis. Je clos par contre définitivement le sujet infertilité avec ce texte !

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